La Vierge dans le Jardin - A.S. Byatt.
The Virgin in the Garden
Traduction : Jean-Louis Chevalier
Ce
volume est le premier tome d'une tétralogie qui se poursuit notamment
avec (dans l'ordre chronologique) "Still Life" et "Tower of Babel" (le
quatrième et dernier volume n'était pas encore paru, il me semble, en
français.) Bien qu'on y retrouve des personnages récurrents dont
l'héroïne, Frederica Potter, en qui on serait tenté de découvrir un
double de l'auteur, chaque volume peut se lire séparément. A.S. Byatt
aimant cependant les mises en abyme et possédant par ailleurs un style
très dense, mieux vaut, à mon sens, respecter la chronologie.
Car la Frederica que nous allons découvrir dans "La Vierge dans le Jardin" est encore mineure : elle a à peine 17 ans. Elle
est la fille d'un universitaire caractériel, William Potter, et de son
épouse, la douce mais énergique Winifred. Et elle est "coincée" entre
sa soeur aînée, Stéphanie et son jeune frère, Marcus.
Les trois
enfants Potter ont ceux-ci en commun d'avoir remporté et de continuer à
remporter en cours des notes plus que brillantes. Stephanie rêve
cependant de s'émanciper de la lourde atmosphère de la maison familiale
tandis que Marcus, quasi mutique et asocial, ressemble à l'un de ces
étudiants qui, dans certaines nouvelles de Lovecraft - un passionné de
mathématiques, lui aussi - ont des "visions géométriques" aboutissant à
des mondes parallèles - ou à la folie.
Federica partage
également avec sa soeur un important béguin envers Alexander
Wedderburn, collègue de son père sensiblement plus jeune et surtout
dramaturge qui, au début du roman, vient de terminer une pièce en vers
sur Elisabeth Tudor. Nous sommes en 1952 et l'Angleterre tout entière
ne respire plus que dans l'attente du couronnement de l'autre
Elizabeth, la seconde, la Windsor : belle occasion pour l'université de
commémorer les deux événements en faisant représenter la pièce
d'Alexander au château de Long Royston, qui appartient à un hobereau
local, Malcom Crowe, désireux pour sa part de revaloriser sa propriété.
Le
pivot de "La Vierge ...", autour duquel va s'organiser une
tragi-comédie aux multiples épisodes, c'est cette pièce, où Frederica
obtient le rôle d'Elizabeth jeune fille. Et l'on pourrait, avec un peu
d'imagination, imaginer le branle donné par tous ces personnages,
principaux et secondaires, cette espèce de pavane comme en
connaissaient les bals du XVIème siècle.
Alexander
voudrait bien s'intéresser à Frederica mais celle-ci est mineure et
vierge. En outre, il s'est fourré dans une liaison avec la femme d'un
collègue, Jennifer Parry. Frederica voudrait bien perdre sa virginité
qu'elle tient pour un obstacle majeure à la vie de liberté dont elle
rêve. Stéphanie n'en peut plus de supporter les scènes familiales et,
bien qu'elle n'ait jamais supposé que la chose pût lui arriver, elle
tombe amoureuse de Daniel Orton, le vicaire du prêtre local. Marcus se
croit frappé de folie jusqu'au jour où Lucas Simmonds, l'un de ses
professeurs, lui assure qu'il a au contraire un don surhumain qui
permettra enfin à l'être humain de sublimer la matière. Tout autour, un
cercle d'étudiantes et d'étudiants, de comédiens amateurs et
professionnels, les images en noir et blanc du couronnement d'Elizabeth
II que tous vont contempler dans un silence quasi religieux et bien
d'autres choses que je vous laisse le plaisir de découvrir.
Comme toujours, A.S. Byatt coud solide et profond. Son érudition accompagne et encourage le lecteur à chaque page. Seule
réserve : les lecteurs qui ne s'y connaissent pas trop en Histoire
anglaise seront peut-être rebutés. En d'autres termes, si vous êtes
déjà un "byattomaniaque", cet ouvrage sera pour vous un régal ; sinon,
vous n'y comprendrez pas grand chose et vous risquez de vous lasser
avant la fin - qui n'est d'ailleurs qu'une fin parmi tant d'autres
possibles.
En ce qui me concerne, malgré quelques
longueurs, je l'ai trouvé si passionnant que je compte me procurer un
de ses jours "Still Life" (dont je ne connais pas le titre français) et
où se poursuivent les aventures de Frederica, personnage tout à tour
comique, exaspérant et touchant.