Haut le Coeur - Takami Jun.
Traduction : Marc Mécréant
Ce
roman, qui enthousiasma, paraît-il, Mishima et Kawabata, m'a beaucoup
déçue. J'ai même failli l'abandonner à sa moitié, c'est tout dire. Mais
je me suis reprise et je l'ai achevé hier au soir.
En
dépit de tous mes efforts, je ne suis pas parvenue à éprouver ne fût-ce
qu'une ombre de sympathie ou, à défaut, d'admiration, pour son
narrateur, Kashiba Shirô. Un personnage du livre lui dit, sur la fin,
qu'il n'est ni un brave type, ni une canaille et qu'il est seulement un
anarchiste, et le manque absolu d'empathie qui a été le mien à la
lecture de ses aventures dans le Japon des années 1925/1936 vient
peut-être de là, je l'avoue.
Chez Kashiba, il
n'y a qu'une seule flamme : détruire, détruire, et encore détruire.
Certes, il évoque de temps à autre - et de façon très vague - la
reconstruction qui suivra mais ... on n'y croit pas une minute.
Kashiba
semble avoir eu un rapport au Père assez ambigu et sa haine de
l'autorité trouve vraisemblablement sa source là-dedans. Mais il n'y a en lui - en tous cas, telle est mon impression - nul panache, nulle noblesse.
On sent bien la jouissance qui est sienne lorsqu'il traîne avec de
petites frappes plus ou moins obtuses et lorsqu'il se place dans des
situations impossibles. Pendant près de 750 pages, il ne songe
qu'à tuer : un malheureux chien errant, tel ou tel homme politique ou
militaire, un parfait inconnu même, rien que pour prouver qu'il est
capable du passage à l'acte ...
En outre, le déséquilibre est
flagrant entre le ton littéraire, très soigné, que l'auteur choisit
pour nous dépeindre la situation historique à cette époque - période de
très grande agitation au Japon - et le recours systématique, dans les
dialogues, à l'argot. Peut-être la chose passe-t-elle mieux en japonais
mais, en français - et malgré le soin apporté par Marc Mécréant à sa
traduction - cela gêne terriblement.
Et puis, si
l'intrigue est complexe, ce qui peut être un avantage, elle perd tout
intérêt dès lors qu'elle est présentée de façon extrêmement
brouillonne. (Un index des noms japonais serait sans doute le bienvenu
à la fin du volume.) Or, Takami Jun ne donne nullement
l'impression de maîtriser son histoire mais d'en placer les morceaux,
un peu au petit bonheur, de façon très maladroite et presque grossière,
par-ci, par-là.
En gros, "Haut le Coeur" - dont Mishima
soulignait avec raison l'ambiguïté du titre - conte l'itinéraire
sentimental et idéologique d'un jeune anarchiste dans le Japon des
années 20/30. Fils d'un fondeur, il s'est laissé gagner, au lycée, par
les théories d'Osugi Sakae* :
Citation: |
[...] ... Au cours de ma quatrième année de lycée me tombèrent entre les mains les livres d’ Ōsugi Sakae. L’homme passait pour terrifiant ; ses ouvrages aussi : c’est cette réputation même qui me séduisit et m’amena à le lire. Prétendre carrément que je n’éprouvai pas une sorte d’effroi serait mentir ; mais ce qui compte, c’est le choc , l’émotion dont je fus bouleversé devant une si évidente et terrible vérité. ... [...] |
Pour lui, la société est pourrie et il faut la dynamiter. Pour ce faire, comme beaucoup de ses amis anarchistes, il ira jusqu'à s'allier aux militaires - on constate une fois de plus combien les extrêmes peuvent se rapprocher.
Le tout sur fond de magouilles en Mandchourie (son meilleur ami,
Sunama, devient un caïd de l'opium) et de trafics divers aussi bien en
Corée qu'au Japon. Par la force des choses, le lecteur est entraîné, à
la suite de son "héros", dans le monde de la pègre et de la
prostitution. Mais, là non plus, on ne croise cette lueur crépusculaire qui, chez les grands écrivains, fait toute la beauté de ces univers.
Et
c'est bien dommage car, si on a le courage d'aller jusqu'à la fin de
"Haut le coeur", on voit bien que ce roman présente quand même beaucoup
d'intérêt - notamment historique. C'est le traitement qui pèche - et de
façon irrémédiable. A moins que, en apprenant le japonais ...
* : pour en savoir plus sur l'anarchisme au Japon, voir ici.