La Voleuse d'Hommes - Margaret Atwood.
"La
Voleuse d'Hommes" est un roman toujours aussi épais mais d'une optique
un peu plus humoristique que celle observée dans "Le Tueur ..." et dans
"Captive." C'est aussi une réflexion sur la nature de la Vérité (car en
fait, on ne saura jamais qui était la vraie Zenia qui recrée sans cesse
la Vérité, souvent dans son propre intérêt, parfois gratuitement, pour
le seul plaisir de faire le mal) et sur les conséquences qu'implique sa
révélation. Voilà pourquoi c'est un détail de la lithographie "La
Vérité" de Verlinde qui a été utilisé par le Livre de Poche pour la
jaquette de ce roman.
Ainsi que le mentionne la
quatrième de couverture citée par Julie, tout commence par un déjeuner
pris au "Toxique" - c'est un restaurant qui, la nuit, voit se réunir
pas mal de toxicomanes - par trois quinquagénaires dont l'amitié
remonte au temps de l'université.
La première à entrer en scène, c'est Tony (diminutif d'Antonia) Freemont, une femme si menue qu'elle peut encore s'habiller en 36 et qui donne des cours d'histoire militaire à l'université. Son
intérêt, que dis-je, sa passion pour les grands stratèges et toutes les
sortes de batailles possibles et imaginables a constitué très tôt pour
elle une façon de se replier sur elle-même, de s'isoler, de se protéger.
Tony n'a pas eu d'enfants de son mariage avec Stewart que cette
gauchère contrariée devenue ambidextre et adepte de l'écritutre-miroir,
appelle "West" (= presque Stew, mais inversé et avec un petit jeu entre
le "t" et le "s") depuis des lustres.
Pour la seconde de nos héroïnes, l'isolement a d'abord revêtu l'abandon de son premier prénom, Karen, pour devenir Charis. Somnambule
et victime dès l'enfance, possédant sans doute un sixième sens très
aigu qui, en dépit des apparences, l'a bel et bien sauvée de la folie
ou du suicide, Charis ne parle et n'agit qu'en fonction de méditations,
de zen, d'auras, d'ondes, etc ... En dépit de sa fragilité, en
dépit de la terreur-panique du rejet et du manque d'amour qui la
minent, Charis, à sa propre stupeur, trouvera cependant en elle la
force d'affronter la "renaissance" de Zenia. D'un objecteur de
conscience américain désireux d'échapper à la guerre du Viêt-nam et
réfugié au Canada, elle a eu une fille, qu'elle a choisi de prénommer
August mais qui, avec l'âge, a décidé de se réapproprier son prénom en
lui ajoutant un "a."
Quant à la troisième, Roz, je l'ai trouvée tout simplement épatante. Un
personnage jovial et teigneux, une "femme forte" - dans tous les sens
du mot - et dotée d'un optimisme salvateur. Son point faible à elle -
son jardin secret où elle s'isole volontiers et dont Zenia jouera sans
scrupules, c'est l'image du Père. Elle a épousé un avocat arriviste, Mitch, qui a multiplié les aventures avant de tomber dans les bras de Zenia et de ...
Or
donc, comme elles le font depuis une éternité une fois par semaine, ces
dames déjeunent ensemble. Et qui voient-elles passer devant elles dans
la salle du "Toxique" ? Zenia ! Zenia à l'enterrement de
laquelle elles ont pourtant assisté il y a quelque temps. Zenia qui
avait été victime d'un attentat à Beyrouth. Zenia qui, à chacune de ces
trois femmes qui furent, chacune à son tour ou simultanément, ses
amies, a volé l'homme qu'elles aimaient - ou croyaient aimer - pour
mieux le rejeter ou l'abandonner par la suite.
Zenia, fille
d'une Russe blanche qui prostituait sa fille dès ses cinq ans. Ou alors
Zenia, fille d'une tzigane lapidée en Roumanie. Zenia, fille de Grecs
orthodoxes particulièrement pieux qui, en raison de la piété de ses
parents, ne put jamais dénoncer le prêtre qui l'avait violée. Zenia,
miraculée d'un cancer - dont elle n'a en fait jamais souffert sauf ...
Zenia,
dont on ne saura en fait jamais la vraie nature : ni Tony, prête
pourtant à la tuer avec le Luger de son père ; ni Charis, qui parvient
à lui pardonner avant de l'abandonner à son tour ; ni Roz, qui était
prête à céder à son dernier chantage ... ni le lecteur.
Un
bon roman, à ne réserver cependant qu'aux inconditionnels de la
romancière canadienne car - à mon sens en tous cas - il n'a pas ni la
perfection glacée du "Tueur ..." ni la maîtrise absolue de "Captive."