Le Bizarre Incident du Chien Pendant la Nuit.
Ce
livre est un premier roman qui, à l'époque de sa sortie, a rencontré un
succès largement mérité. Non que ce soit un "grand" livre mais l'idée
de base est originale et on voit bien que l'auteur s'est très
sérieusement documenté sur la question des troubles comportementaux,
qu'il s'agisse de troubles autistiques ou pas.
Le jeune héros de
cette histoire, Christopher, ne sera pas sans évoquer à certains le
personnage (magistralement) campé par Dustin Hoffman dans "Rain Man."
Même impossibilité de le toucher, même intérêt pour la déduction
logique et les classements, même rejet de certains assortiments de
couleurs ou de sons et, surtout, mêmes capacités mathématiques.
Car
Christopher, parfaitement incapable de comprendre des expressions comme
"bête comme ses pieds" ou "il fait un temps de chien", vous en
remontrerait question maths et calculs en tous genres. Son ambition est
d'ailleurs de passer cette année-là son A-Level dans cette matière. Il
deviendrait ainsi le premier enfant différent de son institution à le
passer. Il sait d'ailleurs qu'il aura une mention "Très bien." Non par
fatuité mais tout simplement parce que, d'un point de vue logique, tous
les atouts sont avec lui.
Mais avant d'en arriver à
cette apothéose, Mark devra parcourir un chemin bien périlleux. Il lui
faudra d'abord résoudre le mystère qui plane sur la mort de Wellington,
le chien de sa voisine. Puis, quand il l'aura résolu - de façon bien
involontaire - il se retrouvera confronté à une situation qui, pour
lui, sera assez difficile à maîtriser.
Ce qu'il y a d'émouvant
et d'authentique dans ce livre, c'est que, justement, en dépit de son
handicap - Christopher n'est jamais allé tout seul plus loin que le
bout de sa rue - l'adolescent parviendra à se rendre à Londres pour y
chercher la seule personne capable de résoudre son dilemme : sa mère.
Depuis
que la chape de lieux communs et d'inexactitudes foncières que faisait
peser sur l'autisme et ses dérivés la psychiatrie officielle - surtout
dans notre pays, d'ailleurs - a été levée, tous ceux qui connaissent,
de près ou de loin, l'autisme et les troubles du comportement qui les
caractérisent savent bien que la réussite de Christopher n'a rien d'un rêve irréalisable.
Mais quel trésor de patience, digne de tous les joyaux de Golconde, ne
doit-on pas payer pour que les autistes puissent accéder à un mode de
vie correct qui leur donne confiance en eux-mêmes ! Combien de moments
de découragement traversés par ceux qui s'occupent d'eux et qui,
parfois, croient les voir régresser ou stagner alors que, en vérité,
ils se préparent tout simplement à passer à un niveau supérieur ! ...
Le
roman de Mark Haddon est un livre à lire parce que on seulement il nous
permet de voir une situation "normale" à travers les yeux et la
sensibilité d'un autiste mais parce que, surtout, il nous fait peu à
peu comprendre que la froideur apparente de l'autiste - il ne supporte
pas qu'on le touche ou qu'on le serre trop, il ramène souvent le monde
à sa seule personne, il ne comprend pas qu'on puisse dire certaines
choses uniquement par politesse, etc ...* - n'est qu'une forme
différente de sensibilité.
Christopher, par exemple,
semblait privilégier ses rapports avec son père. Jusqu'au jour où, en
raison de certaines révélations qu'il accepte (courageusement) de
regarder en face, il admet lui-même qu'il aime sa mère et que celle-ci
lui est tout aussi précieuse que son père. Certes, il ne le
dit pas avec les mots que je mets ici, il le dit de façon plus raide et
il reste toujours une foule de choses qu'il ne dit pas (mais que le
lecteur "entend") tout simplement parce qu'il lui est impossible de les
dire. Les dire reviendrait pour lui à succomber à ses émotions, donc à
perdre son contrôle et certainement à régresser, peut-être
définitivement.
Mais ce n'est pas parce qu'on est incapable de dire ce que l'on ressent qu'on ne ressent rien. Ce
livre sans prétention, écrit dans un langage simple, nous le rappelle
et nous laisse aussi l'espoir que, peut-être, un jour, nous saurons
comment détruire ce blocage (en activant une zone du cerveau, par
exemple) tout en préservant la sensibilité de ceux qui en souffrent.
*
: ces caractéristiques changent et certaines même n'apparaissent pas
selon le degré d'autisme. Dans son livre, Mark Haddon fait dresser à
son héros une liste des principaux troubles dont il souffre ou a
souffert et qui regroupe une bonne part des symptômes de la maladie,
parmi lesquels les troubles nutritionnels, le refus de se laisser
toucher et, bien entendu, les cris et gémissements devant une situation
qui n'est pas familière.