Northanger Abbey - Jane Austen.
«
Northanger Abbey, » que Jane Austen acheva de rédiger en 1803 mais qui
ne fut publié que treize ans plus tard, est de loin son roman le plus
caustique.
Une fois de plus, l’héroïne qu’elle a choisie, Catherine Morland,
est issue de la petite bourgeoisie anglaise – son père est clergyman -
et vit dans un paisible village du sud de l’Angleterre où, on le
devine, les occasions de se distraire sont plutôt rares ou alors si
routinières que mieux vaut ne pas s’y appesantir.
Avec
les ans, Catherine prend donc l’habitude de lire beaucoup, et
essentiellement des romans, genre littéraire qui, à cette époque, était
plutôt considéré par nombre de bien pensants comme une espèce de
sous-littérature.
C’est l’Age d’Or du « roman gothique » dont Jane Austen nous cite ici les grands noms, aujourd’hui bien oubliés si l’on excepte Horace Walpole, Ann Radcliffe, Maturin et bien sûr Matthew Gregory Lewis.
Catherine raffole de ces ouvrages où pullulent les spectres et les
princes du Mal et passe des heures à en lire les péripéties.
Un
jour cependant, une voisine de ses parents, Mrs Allen, femme frivole et
assez sotte qui ne parle guère que lieux communs et toilette, l’invite
à l’accompagner à Bath, station thermale et ville fort à la mode de
l’époque. (Quelques années plus tard, Dickens brossera de cette ville un portrait tout aussi ironique dans les « Pickwick Papers. »)
Arrivée
à Bath, Catherine déchanterait assez vite si Mrs Allen ne se voyait
reconnue par une ancienne camarade de pension, Mrs Thorpe, laquelle
leur présente deux au moins de ses enfants : la somptueuse Isabel,
jeune fille « dans le vent » d’une grande beauté et le présomptueux
John, son seul fils, en qui Jane Austen caricature à plaisir le « dandy
» dans toute sa gloire.
Tout
de suite, Isabel se prend d’un affection démonstrative et presque
déclamatoire pour la douce, timide et naïve Catherine. Quant à son
frère, qui, par
un hasard comme les affectionnent les romanciers de tous âges et de
tous genres, a eu pour condisciple à Oxford le propre frère de
Catherine, James Morland, il se pose tout de suite en prétendant sérieux quoique non désiré.
Pourquoi
non désiré ? Eh ! bien, parce que John Thorpe non seulement est laid
mais il est de plus stupide et parfaitement épuisant. Tandis que sa
soeur ne saurait prononcer un mot sans tomber dans les déclarations
outrancières – attend-elle cinq minutes qu’elle parle de « dix heures
d’ennui effroyable » - son frère, lui, fait pratiquement les demandes
et les réponses, disant ainsi tout et son contraire, et s'en s'en
rendre compte un seul instant, qui pis est. Quant aux sujets sur
lesquels il se montre intarissable, on en fait vite le tour : les
chevaux, la mode, le jeu, la fortune d’un tel ou d’une telle. Ajoutez à
cela qu'il aime à lever le coude et le portrait sera complet.:ivr:
En
dehors de cela, rien. A la différence de sa soeur qui, au moins, lit
des romans, John, lui, ne lit pas. (Vous imaginez l'horreur ? ...)
Fort heureusement pour elle, Catherine a également fait la connaissance de Henry Tilney et de sa sœur, Eleonor.
Le premier ne lui est pas tout à fait indifférent, il faut bien le
dire. Quant à la seconde, sa douceur et son bon sens l’attirent
irrésistiblement. Aussi, lorsque le général Tilney, leur père, l'invite à faire un petit séjour chez eux, à Northanger Abbey, est-elle au comble de la joie.
Entretemps, James, son frère, s’est fiancé avec Isabel, ce qui n’empêche nullement cette dernière de continuer à flirter à droite et à gauche, notamment avec le capitaine Frederick Tilney, frère aîné de Henry et d’Eleonor, débarqué à Bath pour y prendre un peu de bon temps …
Voici,
résumés tant bien que mal, les divers ingrédients qui vont permettre à
Jane Austen de nous raconter, sur le ton pince-sans-rire qu'on lui
connaît mais qui, dans ce livre, atteint au summum,
une histoire certes sans prétention mais qui se laisse lire avec un vif
plaisir. Ainsi qu’il est d’usage à l’époque, les méchants verront leurs
espoirs s’effondrer et les gentils seront récompensés. Le lecteur,
quant à lui, se sera bien amusé même si la conclusion moralisatrice
n'est pas sans lui évoquer les oeuvres de la comtesse de Ségur.
Si
vous n’avez jamais lu cet écrivain dont les idées et le style
demeurent, malgré tout, beaucoup plus proches du XXème siècle que du
XIXème, « Northanger Abbey » constitue, avec ce chef-d’œuvre que
demeure « Orgueil et Préjugés », le meilleur moyen pour aborder son
œuvre. Si j'étais vous, je
commencerai cependant par "Orgueil et Préjugés", plus profond que cette
pochade de grand talent qu'est "Northanger Abbey."