Deux Mondes & leurs usages - Ivy Compton-Burnett.
Two worlds & their ways
Traduction : Gérard Joulié
Lord
Rodrick Shelley, qui avait épousé en premières noces Mary Firebrace,
est resté veuf avec un fils, Oliver et, en prime, la charge de son
beau-père, Mr Firebrace, que le remariage de Sir Rodrick avec Maria et
la naissance de leurs deux enfants, Clemence et Sefton, n'a pas incité
à se chercher une nouvelle demeure.
Les Shelley aiment
tendrement leurs deux enfants mais la réalité se rappelle à eux par le
biais des ex-belles-soeurs de sir Rodrick, Lesbia et Juliet, qui
tiennent toutes deux, la première une institution pour jeunes filles de
bonne famille et la seconde, avec l'aide de son mari, Lucius Cassidy,
un collège pour jeunes garçons également de bonne famille.
Bien
que, en théorie, ni Lesbia, ni Juliet n'aient pas leur mot à dire dans
l'éducation des enfants issus du remariage de leur ancien beau-frère,
lord et lady Shelley se laissent convaincre de tenter l'expérience d'un
séjour scolaire, pour Clemence comme pour Sefton.
Cette essai,
qui ne durera que le temps d'un trimestre, va amener les uns comme les
autres, jeunes et moins jeunes, à reconsidérer leur situation les uns
par rapport aux autres. Une foule de questions vont se donner libre
cours et quelques découvertes vont être faites ...
Difficile, très difficile de résumer ce roman où l'auteur dit tout sans avoir l'air d'y toucher.
Si l'on s'étonne devant ces personnages qui nous paraissent surannés,
on s'étonne encore plus quand on s'aperçoit que, finalement, en dépit
des codes qui leur sont propres, à eux et à la société dans laquelle
ils évoluent, ils éveillent en nous un certain nombre d'échos qui
demeurent d'actualité.
En fait, mieux vaudrait ici
évoquer ces tableaux en trompe-l'oeil où, au premier regard, on croit
voir telle chose bien précise et surperbement détaillée. Cela, c'est
pour la première lecture. Puis, à tête reposée, on commence à se dire
que, finalement, on n'a pas vu ce que l'on était pourtant bien certain
d'avoir vu. Et c'est là qu'une relecture s'impose.
La construction déstabilise non parce qu'elle est illogique ou fragmentaire - bien au contraire - mais parce qu'elle
repose presque uniquement sur des dialogues, une profusion de dialogues
où ce qui est dit sous-entend une foule de choses souvent en parfaite
contradiction. Avec cela, un vocabulaire précis où les mots ne sont pas choisis par hasard. Soutenir que Compton-Burnett calculait ses virgules serait à peine exagérer.
Tout
ici est feutré mais peut-on parler d'hypocrisie ? Car tout - tout - est
dit. Avec parfois une méchanceté et un mépris rares, même. Les héros de
Compton-Burnett étouffent dans divers carcans mais, sans faire exploser
ceux-ci, ils parviennent cependant à faire comprendre qu'ils ne sont
pas dupes des convenances qu'ils respectent.
Bref, un
roman, un style et un auteur vraiment curieux - et à découvrir. A
rapprocher aussi, dit-on, pour les initiés de Barbara Pym. Un conseil
cependant : ne vous laissez pas prendre à une première lecture
qui risque de vous décevoir. Au-delà des apparences, Compton-Burnett va
très loin.