La Vie d'Artiste - Mary McCarthy.
Titre original : A Charmed Life
(Traduction : Denise Meunier)
John
et Martha Sinnott sont de retour à New Leeds, une petite communauté
sise non loin de Boston. Pourquoi "de retour" ? Parce qu'ils y ont
jadis causé scandale, le premier en recueillant une nuit la seconde,
que son mari de l'époque, Miles Murphy, avait jetée hors de chez elle.
Il
n'y avait d'ailleurs aucune raison valable à ce que Miles se comportât
ainsi. Hormis le goût prononcé du monsieur pour l'alcool et son
tempérament plutôt colérique.
En revenant à New Leeds, le couple a conscience de faire une bêtise mais
cependant, un peu comme dans une tragédie classique - dont l'analyse
sera faite au milieu du roman par Miles et Martha, prenant exemple de
la "Bérénice" de Racine - ils se sentent obligés de le faire.
A New Leeds, ils ont gardé au moins un couple d'amis, les Coe. Warren,
le mari - l'un des personnages les plus attachants du roman - est un
peintre préoccupé de questions existantielles et qui n'a pas encore
percé. Jane, l'épouse, issue d'une famille très aisée, a choisi de se
marier dans la bohême tout d'abord parce qu'elle aimait Warren, ensuite
parce qu'elle pensait, non sans raison, qu'un artiste accepterait sans
rien dire son peu d'empressement envers les obligations ménagères.
Infiniment moins sympathique que son mari, Jane est une épouvantable
bavarde qui se passionne pour la vie privée d'autrui et, ce qui est
plus grave, est parfaitement capable de provoquer certaines rencontres
simplement pour voir ce qui en découlera.
C'est ainsi qu'elle s'arrange pour que les Murphy (Miles s'est remarié avec Helen et en a eu un enfant), de passage chez elle, tombent nez à nez avec John et Martha. Quelques
heures plus tôt, elle avait lâché devant Miles que Warren venait
d'achever le portrait de son ancienne femme et bien évidemment, Miles
avait demandé à voir l'oeuvre achevée.
Ce n'est pas un hasard si Mary McCarthy a choisi de faire un lien entre le monde du théâtre et quelques uns de ses héros :
Miles a écrit des pièces et Martha est en train d'en rédiger une ; tous
deux se sont rencontrés alors que la jeune fille débutait sa carrière
de comédienne - qu'elle a abandonnée pour lui ; Warren et Jane sont
passionnés par le théâtre classique ; etc ...
Et, ainsi
qu'au théâtre, Martha se voit acculée à rencontrer son Destin non pas
poussée par sa volonté propre (encore que ...) mais bel et bien parce
qu'il existe autour d'elle une sorte de conspiration plus ou moins
consciente pour l'y contraindre. L'issue sera dramatique.
Roman subtil, écrit en un style assez spécial qui fait alterner le passé simple et le présent, "La Vie d'Artiste" est une
analyse au scalpel d'une femme profondément masochiste et
singulièrement dénuée de volonté positive, qui a choisi de vivre au
milieu de sadiques (Jane Coe, Miles Murphy), d'indifférents (Sandy
Gray) ou de faibles (Dolly Lamb, Warren Coe et même John Sinnott). Ce
qui ne l'empêche pas d'avoir, comme on dit, du caractère, à l'exemple
de ces gens qui consacrent toute leur vie à s'auto-détruire avec
délectation. Sur l'ensemble, se greffe une dénonciation ironique d'un
certain mode de vie et, plus encore, d'une certaine tournure d'esprit
que l'auteur a dû croiser bien souvent dans les milieux qu'elle-même
aimait à fréquenter.
Un roman que j'ai longtemps
méconnu mais qui m'a vraiment donné envie de connaître un peu plus son
auteur - et le reste de ses écrits.