Un tueur sur la route - James Ellroy.
L'univers d'Ellroy est noir, noir, noir ... et
pourtant, l'on ferme toujours ses livres en regrettant d'en être déjà à
la dernière page.
C'est ce que j'ai pensé en achevant "Un Tueur
sur la Route" qui nous conte, dans un style moins "cogneur" que celui
du "Grand Nulle Part", le parcours d'un tueur en série américain nommé
Martin Plumkett. Pour être plus exacte, c'est Martin lui-même qui se
met en scène. Il vient d'être capturé et, à l'exception d'une
déclaration faite devant le tribunal, il se refuse à expliquer quoi que
ce soit autrement que par écrit. Aussi entreprend-il dans sa cellule de
rédiger son histoire.
L'histoire d'un enfant
vraisemblablement surdoué mais privé d'amour dès sa jeunesse et qui ne
s'en remettra pas. L'histoire d'un homme qui sait que ses pulsions
violentes sont dûes à un accident survenu dans son enfance mais qu'il
ne pourra se rappeler qu'à l'extrême fin du roman. Une histoire où les
frustrations sexuelles et la déresponsabilisation des parents pèsent de
façon atroce sur la destinée de leur enfant.
Ellroy,
qui a avoué lui-même que, sans l'exorcisme de l'écriture, il aurait
persévéré dans la délinquance aggravée, ne cherche pas à défendre son
héros. Par la voix de l'enquêteur du FBI qui finit par coincer
Plumkett, l'auteur nous rappelle que très peu nombreux sont en fait les
enfants privés d'amour dans leur jeunesse et qui finissent dans la peau
d'un tueur. Du début jusqu'à la fin, Ellroy se veut neutre et
réussit d'ailleurs à nous restituer le parcours intérieur de Plumkett,
tout en froideur et en non-dits, en non-touchers mêmes. Et c'est bien
cet équilibre qui lui permet de nous faire entrevoir ces étincelles
d'humanité qui, de temps en temps, scintillent et puis meurent en
Martin, nous rappelant au passage qu'il aurait pu connaître une vie
bien différente.
Face à un personnage comme Ross
Anderson et, de façon générale, face à l'Américain moyen décrit par
Ellroy à grands traits cruels et sarcastiques, Martin Plumkett nous
apparaît cependant doté d'une intégrité enviable. Il nous fait peur -
les derniers mots qu'il écrit dans son journal sont carrément
terrifiants - et en parallèle, il nous touche. Et on le quitte sans
avoir réussi à trancher : est-il une incarnation du Mal ou ce Mal lui
a-t-il été imposé par une force supérieure, les hasards de la
génétique, le comportement de ses parents, la société américaine
puritaine ?
A vous de voir mais c'est un livre qu'on ne regrette
pas d'avoir lu. A noter la scène où Plumkett dit son fait à Charles
Manson : l'un de ces moments où le lecteur ne peut s'empêcher d'admirer
sa vision de la mort.
Un site excellent sur Ellroy :
http://www.edark.org/ellroy/french/home1_en.html
Et une interview d'Ellroy chez Fluctuat :
http://www.fluctuat.net/livres/interview/ellroy.htm