La Boutique aux Miracles - Jorge Amado.
Si vous voulez
lire un auteur brésilien qui a réellement quelque chose à dire et qui
le dit dans un style digne des luxuriances tropicales de son pays,
lisez Jorge Amado sur lesquels les sites suivants vous renseigneront mieux que je ne saurais le faire moi-même :
Amado 1
Amado 2
Je viens d’achever un Amado que je n’avais jamais lu : « La Boutique aux Miracles » qui fut, je crois, édité en 1971.
A
sa manière baroque et lyrique de conteur-né, Amado nous y retrace
l’histoire de Pedro Archanjo, humble appariteur à la Faculté de
Médecine de Bahia, poète passionné par ce melting-pot unique au monde que fut son pays, fervent défenseur des pauvres et des opprimés, haute figure du candomblé et mulâtre.
Pedro Archanjo naît en 1868 et sa vie ne sera qu’une succession de combats.
Combats contre lui-même tout d’abord pour s’instruire et apprendre -
apprendre encore et toujours plus - et puis pour ne pas enlever à son «
frère » Lidio Corro la femme qu’aime celui-ci. Avec l'âge viennent les
combats publics : contre les lois qui visent à interdire la tenue des candomblés,
ces cérémonies où les cultes animistes africains s’unissent aux pompes
et aux ors du catholicisme, contre la misère qui n’arrête pas de rôder
comme une hyène parmi le peuple brésilien, contre la volonté d’apartheid qui commence à se répandre dans le pays à l’aube de la Seconde guerre mondiale …
Quand
Archanjo decède d’une crise cardiaque en 1943 et comme nul n'est
prophète en son pays, les quatre ouvrages qu’il a écrits sont retombés
dans l’oubli. Mais, en 1968, voilà que débarque à Bahia un Prix Nobel made in USA, James D. Levenson, lequel lance sans le savoir le pavé dans la mare en
affirmant publiquement que les écrits qui ont eu le plus d’influence
sur les siens ne sont autres que ceux de l’ancien appariteur brésilien.
Chez
les journalistes et les notables bahianais, la stupeur est totale. Mais
ils ne veulent ni ne peuvent révéler à l’Américain qu’ils ignorent tout
– ou presque – de Pedro Archanjo et de son œuvre. Et la course commence
: hommes de presse, hommes de sciences, hommes de lettres, snobs tous
azimuts, tout le monde se rue sur la mémoire de Pedro Archanjo.
Tant
bien que mal, tout ce beau monde se décide à rendre un hommage mérité
et mémorable à celui qui, s’il avait vécu, aurait alors fêté son siècle
d’existence. Mais, pour ce faire, il
faut bien entendu obtenir un maximum de renseignements sur cette gloire
inconnue – et surtout trier ceux que l’on pourra utiliser …
Ça pourrait être horriblement triste mais Amado adoucit le ton par son humour – bien que celui-ci soit souvent féroce. Les chapitres font alterner les deux intrigues : le
grand branle-bas de 1968, cette course-poursuite au Pedro Archanjo
politiquement correct et la relation de la vie de Pedro Archanjo, tel
qu’il fut – c’est à dire tout le contraire du « politiquement correct. » Les personnages sont brossés à grands traits colorés : ils éclatent littéralement de couleurs et de saveurs – au reste, Pedro Archanjo et son auteur n’ont-ils pas tous deux rédigés des livres de recettes de cuisine ? Et ce qu’ils font, ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent, tout cela sonne vrai – en tout cas, c’est ainsi pour moi mais ce ne sera peut-être pas votre avis.
Peut-être
parce que, comme dans la vie réelle, la douleur et le chagrin tiennent
également leur rôle dans l’histoire de Pedro Archanjo : son amour pour
Rosa da Oshala tout d’abord et puis – et c’est peut-être le plus triste
– l’abandon dans lequel son fils Tadeú le laissera peu à peu glisser
après que lui-même se sera élevé socialement par ses études (supportées
par Archanjo et ses amis) et par son mariage avec la fille – blanche –
du colonel Gomes.
Mais
cela aussi, Pedro Archanjo, le philosophe, l’accepte. C’est pour que
tous les Tadeú du Brésil aient leur chance que lui-même s’est battu si
longtemps – et il le sait. Le jeu en valait bien la chandelle, non ? ...
En conclusion, j'ajouterai qu'il est rare de voir un héros de roman revendiquer de façon aussi égale et aussi puissante sa part européenne et sa part africaine - et se montrer aussi fier de l'une comme de l'autre. Par les temps qui courent, que voulez-vous, ça me fait plaisir - d'autant qu'Amado le fait avec la simplicité du vrai poète.
Un auteur à découvrir, donc, si vous ne le connaissez pas encore.