Les sorcières d'Eastwick - John Updike.
The Witches of Eastwick
Traduction : Maurice Rambaud
Si
vous avez déjà vu le film que les studios hollywoodiens tirèrent de ce
livre, dans les années 90, avec Jack Nicholson, Susan Sarandon, Cher et
Michelle Pfeiffer, il est possible que la lecture de ce roman vous
incite à vous débarrasser illico de votre DVD ou de votre VHS, dans le
creux accueillant d'une poubelle ou alors chez le revendeur le plus
proche de chez vous. Car, une fois de plus - faut-il s'en
étonner à l'heure actuelle, hantée par les Créationnistes, les
Islamistes et autres "Istes" sinistres ? - les producteurs américains
non seulement ont reculé devant la subversion mais, ce qui est pire,
ils ont tenté de la dissoudre dans une potion bien fade, qui n'a plus
rien à voir avec la sorcellerie, blanche ou noire - encore moins avec
le discours d'Updike.
Ici, Jane (la
violoncelliste), Alexandra (rôle tenu par Cher dans la version filmée)
et Sukie (la journaliste locale) sont bel et bien trois sorcières, au
sens pré-chrétien et pré-bien-pensant du terme, dont les pouvoirs,
latents comme chez toute femme, se sont révélés lorsqu'elles ont quitté
leur époux ou leur compagnon - ou quand celui-ci les a laissées tomber.
Ce
sont des sorcières épicuriennes, en contact permanent avec la Nature
même si elles sont sans illusions sur elle, des sorcières qui, en ces
années soixante-dix où Updike a placé son décor, vivent une bisexualité
sans complexes et ignorent le regard des autres.
Leur petit
trio sympathique est brusquement troublé par l'arrivée dans le pays de
Darryl Van Horne, "un homme noir" qui rachète le manoir Lennox et avec
lequel elles se lient dans une étrange relations mi-amoureuse,
mi-amicale où la jalousie n'existe pratiquement pas.
Contrairement à ce qu'il se passe dans le film, il n'est jamais dit que cet "homme noir" est bel et bien le Diable. Certes,
Updike s'amuse à le laisser entendre çà et là mais, quand on arrive à
la fin du roman, ce "diable" en question nous apparaît plus proche d'un
Méphistophélès de troisième zone que du Lucifer tout puissant que
Nicholson campe avec son biro - et son cabotinage - habituels.
En outre, jamais Van Horne ne rentre en conflit avec les sorcières - lesquelles sont visiblement plus puissantes que lui. Il
donne l'impression de rester à la remorque et, à travers lui, c'est le
mâle américain que vise Updike. Pourtant, son roman n'est en rien une
attaque contre le matriarcat US. Il s'agit au contraire d'une réflexion des plus subtiles faite par un homme sur les différences fondamentales entre les deux sexes.
Contrairement
à nombre de ses pairs, Updike n'y voit pas prétexte à une guerre
machiste ou féministe. Par le biais de personnages liés à l'antique
sorcellerie, c'est le concept de la Création qu'il met en jeu : les
hommes et les femmes seraient différents et vivraient certainement
mieux si la Nature ne les faisait pas dépendre l'un de l'autre. Le
romancier met le doigt sur le problème majeur du sexe dit fort : la
naissance. Avec des mots parfois crus, il établit par exemple un
parallèle flagrant entre la pratique du cunnilingus et le désir de
retourner à la matrice. Plus féministe qu'une "chienne de garde" mais
plus mesuré, il énonce comme un fait incontestable que l'homme, parce
qu'il naît féminin dans l'eau-mère, garde à jamais la nostalgie de ce
premier état d'où la Nature, encore elle, l'arrache sans lui demander
son avis, en lui infligeant des testicules et un pénis que, si on
l'avait consulté, il n'aurait peut-être pas acceptés.
La
puissance masculine, nous dit Updike, est une illusion. Le vrai
pouvoir, c'est la Femme qui le détient, non que, au contraire de
l'Homme, elle l'ait cherché mais parce que la Nature elle-même est
femme. Et personne n'y pourra jamais rien : au dernier jour de notre
vie, c'est encore notre mère que nous appelons.
Un roman à découvrir et qui, en ce qui me concerne, m'incitera encore à me procurer les oeuvres de John Updike.