Le Conformiste - Alberto Moravia.
Il Conformista
Traduction : Claude Poncet
Marcello
est un enfant solitaire et intelligent, issu de l'union mal assortie
d'un riche quinquagénaire et d'une jolie femme beaucoup trop
superficielle et bien peu maternelle. Il n'a pas encore dix ans lorsque
se pose pour lui, dans cette Italie pré-fasciste et sur laquelle pèse
depuis des siècles la chape plombée de la Sainte Eglise Romaine &
Apostolique, l'antique et éternelle question du Bien et du Mal.
Comme
nous tous, à un moment ou à un autre de notre âge tendre, quand nous
cherchions nos repères, Marcello a envie de faire le mal pour le mal et
même de tuer. Son problème, qui décidera de son existence tout
entière aussi sûrement que les angoisses sexuelles de l'enfance et de
l'adolescence peuvent décider d'une perversion fatidique de l'instinct
de vie, c'est que, devant ses doutes et ses interrogations, il n'y a
personne pour éclaircir les premiers et répondre aux secondes.
Marcello
en conclut donc qu'il est foncièrement anormal - et mauvais - et qu'il
est de son devoir, s'il veut survivre, de faire coïncider du mieux
qu'il peut cet instinct de mort avec une vie de routine où faire le mal
et tuer seront sanctifiés par les autorités en place.
Ce piège dans lequel il va s'enfermer sans en avoir conscience va se trouver renforcé par deux événements extérieurs :
1) la folie violente dans laquelle son père va sombrer
2) et le meurtre d'un chauffeur pédophile et prêtre défroqué, Lino, que Marcello se voit plus ou moins contraint d'accomplir.
Avec
de telles références, Marcello est prêt à devenir un agent de
renseignements impeccable, auquel, un jour, le gouvernement mussolinien
confie une mission de confiance.
Ce qu'il y a de
proprement admirable dans ce roman au style dense et hautement
littéraire, c'est la réflexion à laquelle Moravia, pourtant très
orienté à gauche, se livre sur tous les petits, tous les humbles, qui
succombèrent aux attraits du fascisme.
Si Moravia ne les excuse évidemment pas, lui qui fut pourtant traqué par les agents du Duce ne les condamne pas pour autant. Avec
la froideur voulue et l'habileté d'un très grand chirurgien, il
dissèque au scalpel non pas un régime, pas même des individus bien
précis comme Mussolini et son premier cercle de favoris, mais un peuple
tout entier et, au-delà ce peuple - celui de Moravia - l'Humanité telle
qu'en elle-même.
Un livre fascinant, tout à la fois pudique et
cynique, une analyse unique de ce moment où, tous tant que nous sommes,
nous sommes prêts à basculer dans le Mal et où, pourtant, certains
trouvent la force de ne pas céder au vertige. Y a-t-il un
facteur "chance" ? n'y en a-t-il pas ? Pour Marcello, en tous cas, le
lecteur finit par penser que, quelque part, non, il n'a pas eu de
chance ...