Le Valet de Sade - Nikolaj Frobenius.
Voici
un auteur norvégien que je connaissais sans le savoir puisque c'est lui
qui a rédigé le scénario de l'excellent thriller "Insomnia" (la version
d'Erik Skjolgjaerd) et de son remake américain, filmé par Christopher
Nolan avec Robin Williams à contre-emploi et Al Pacino pour lui donner
la réplique.
"Le Valet de Sade" quant à lui a pour cadre
la France de la fin du XVIIIème siècle. Frobenius s'attache à la
destinée du jeune Latour-Martin Quiros, fils unique et naturel de
Bou-Bou Quiros, une usurière honfleuroise. On notera que l'auteur mêle
d'ailleurs dans le personnage les deux valets favoris de Sade : Latour
(qui sera condamné à mort avec son maître par contumace) et Carteron.
Très
attaché à sa mère, Latour se met en tête à sa mort - d'une fièvre
pourprée, c'est-à-dire d'une maladie infectueuse probablement inoculée
par la piqûre d'une mouche - qu'elle a été assassinée par un certain
nombre de personnes dont il a trouvé la liste dans la robe qu'elle
portait lors de son dernier voyage à Paris, juste avant qu'elle tombât
malade. (D'où le titre original du roman, qui se traduit par "La Liste
de Latour.") Et, très vite, en compagnie d'une prostituée de Honfleur,
Valérie, le jeune homme monte à la capitale dans le but secret de se
venger de ceux qui l'ont rendu orphelin.
Incapable d'éprouver la douleur physique,
Latour se passionne depuis longtemps pour les mystères que recèlent le
corps humain et son cerveau. En Normandie déjà, il a travaillé pour un
taxidermiste et a pris auprès de M. Léopold ses premières leçons
d'anatomie. A Paris, s'il travaille d'abord comme homme à tout faire
dans un bordel, il s'échappe un temps pour se faire l'assistant de
Rouchefoucauld, l'un des plus célèbres anatomistes du temps. Mais comme
il a, pour ce faire, assassiné un étudiant en médecine dont il a pris
l'identité, il doit, lorsqu'il est découvert, se sauver et rejoindre le
bordel de Mme Besson où il finira par rencontrer son double : le comte
de Sade.
A partir de là, le destin des deux hommes sera
indissolublement lié et Fobrenius pose comme hypothèse que les scènes
les plus cruelles de l'oeuvre sadienne furent inspirées au célèbre et
terrible écrivain par la vision des meurtres - avec dissections à la
clef - commis par Latour et qu'il épiait sans que celui-ci en eût
connaissance. Mais quand il réalisera que Sade, sous l'un des nombreux
noms d'emprunt qu'il employait dans ses débauches, fait partie, lui
aussi, de la liste (il est le "président de Curval"), Latour ne pourra
passer à l'acte. Certes, il s'y essaiera mais toujours en vain.
L'homosexualité latente qui exista de façon certaine entre Latour et
Sade est ici traitée avec délicatesse, sur le seul plan du sentiment et
non de la pratique. Et Frobenius insiste sur la ressemblance physique
qui existe entre ses deux héros.
La question
principale posée par ce roman, outre celle du double, est évidemment
celle de la souffrance et de sa nécessité et elle n'arrête pas un seul
instant de tarauder Latour. L'impossibilité dans laquelle l'a
mis la nature de ressentir la douleur l'incite à disséquer ce qui régit
celle-ci et permet en parallèle à Frobenius d'expliquer en partie la
fascination exercée par Sade sur son valet. "Le Valet de Sade" n'est
d'ailleurs pas un roman complaisant ou gore. Et il ne saurait laisser indifférents tous ceux qui s'intéressent à la vie et à l'oeuvre de Sade.
Le
seul reproche que je lui fasse, c'est un défaut de construction : trop
de temps passé par exemple sur l'enfance de Latour auprès de sa mère.
Mais ce n'est bien entendu que mon opinion.