Nouvelles - Montagu R. James.
Je viens de relire toutes les nouvelles de M. R. James que j'ai récoltées au gré des volumes d'anthologie.
La
première, celle qui devait faire de moi une inconditionnelle de ce très
grand mais tout aussi méconnu auteur fantastique, s'intitule "Le document secret."
Je l'ai découverte quand j'avais 14/15 ans, dans les "Histoires
abominables" présentées par Alfred Hitchcock (Livre de Poche) et c'est
probablement la nouvelle de James la plus reproduite dans les
anthologies françaises avec son "Comte Magnus."
L'argument (assez vengeur chez un écrivain) en est le suivant : suite
au refus essuyé par son rapport "La Vérité de l'Alchimie" dont il
aurait aimé faire la communication devant les membres d'une très
savante et très sérieuse association, le mystérieux Mr Karswell cherche
à s'enquérir de l'identité du "lecteur" qui a déclaré son manuscrit
indigne de toute communication. Bien entendu, l'association en cause
refuse de la lui confier. Mais Mr Karswell est opiniâtre et rancunier.
Et c'est le début du cauchemar pour le paisible Mr Dunning qui se
rendra compte que, si Mr Karswell était un très mauvais rapporteur, il
n'en était pas moins un redoutable initié à la magie noire ...
C'est
de cette nouvelle, particulièrement efficace mais qui trouve tout de
même une heureuse conclusion, que s'inspira Jacques Tourneur dans son
célèbre "Rendez-vous avec la Peur" avec Dawn Addams dans le rôle du
savant rationaliste qui refuse - bien à tort - de croire au démon.
(Notons que la fin de ce film, imposée par les producteurs, ne reçut
pas l'aval de son réalisateur, l'un des maîtres du fantastique
cinématographique.)
Avec
"Le comte Magnus", l'atmosphère s'avère tout aussi étouffante. Un
gentleman anglais, Wraxhall, désireux de faire de conter ses souvenirs
de voyage en Europe du Nord, prend diverses notes qui, par une astuce
de l'auteur que je ne dévoilerai pas, finissent par atterrir entre les
mains du narrateur, lequel nous détaille toute l'histoire quarante ans
après les événements.
Au
cours d'un séjour dans la ville de Rabäck, dans le Jutland, Wraxall
séjourne chez les La Gardie, vieille famille suédoise dont le fondateur
était un terrible bonhomme, le comte
Magnus, personnage cruel, cordialement détesté de ses paysans (et des
autres) et soupçonné de son vivant d'avoir effectué on ne sait trop où
le "Pélerinage Noir" dont il aurait d'ailleurs rapporté quelque chose
ou quelqu'un.
Fasciné
par l'histoire du comte, Wraxall se fait montrer le caveau familial où
le sarcophage dans lequel repose le comte Magnus est clos par trois
serrures. C'est ici qu'intervient pour son malheur l'innocente manie
qu'a le héros de parler tout seul : il s'adresse au comte, l'assure une
première fois du désir qu'il aurait eu de faire sa connaissance.
Wraxall juge lui-même sa manie puérile et se gausse de lui-même dans
son journal tout en notant un fait curieux : alors
qu'il quittait le caveau, il avait entendu un bruit métallique et
constaté que l'un des cadenas fermant le sarcophage était tombé à terre.
Deux
fois encore, Wraxall retournera dans le caveau. Deux fois encore, un
démon le poussera à parler à ce défunt qu'il admire bien
inconsidérément. Mais, la dernière fois, le pauvre homme s'enfuira sans
demander son reste car, après avoir entendu le troisième cadenas
résonner sur les dalles, il avait cru voir le couvercle se soulever ...
La
fin se devine mais il faut lire la nouvelle et s'incliner devant l'art
de M. R. James, pour lequel Edmond Jaloux, dans sa préface aux
"Histoires de fantômes anglais" chez Gallimard, manifestait déjà toute
son admiration.
Troisième et dernière nouvelle à lire absolument : "La chambre n° 13." Ici,
nous sommes au Danemark, dans une auberge où, selon la coutume en
vigueur dans certains pays du Nord, il n'existe pas de chambre portant
le numéro fatidique. Le narrateur se voit d'ailleurs offrir la chambre
12, vaste pièce qui satisfait son goût du confort. Pourquoi
faut-il donc que, la nuit venue et les lumières éteintes, cette chambre
lui paraisse soudain avoir diminué de moitié ? Illusion ou réalité ? Et
qui est cet étrange voisin qu'il entend danser et chanter tard dans la
nuit au point qu'il s'étonne que l'aubergiste ne monte pas le prier de
cesser son tapage? Tout d'abord, il s'imagine qu'il s'agit du voyageur
du 14, un avocat allemand. Jusqu'au soir où celui-ci débarque au numéro
12, sûr et certain pour sa part d'avoir trouvé l'auteur du vacarme qui
l'empêche lui aussi de dormir ...
De
menu détail en suggestion subtile, cette nouvelle (peut-être la plus
achevée des trois parce qu'elle est celle qui en dit le moins et en
sous-entend le plus), frôle la perfection que recherche tout conteur,
fantastique ou pas.
Mais quelle que soit celle que vous élirez en premier, n'oubliez surtout pas qu'aucune d'elle n'est à lire trop tard le soir.
Pour en savoir un peu plus sur Montagu R. James : site anglophone.