L'Oeuvre au Noir - Marguerite Yourcenar.
Je viens d'achever "L'Oeuvre au Noir"
et même si je n'y ai pas trouvé le souffle unique qui est celui des
"Mémoires d'Hadrien", je ne saurais faire autrement que de recommander
la lecture de cet ouvrage (qui peut paraître austère, je n'en
disconviens pas). La langue y est toujours aussi superbe, bien qu'un
peu moins naturelle que dans les "Mémoires" où, tout en conservant sa
richesse un peu précieuse, elle semble couler de source.
"L'Oeuvre
au noir" nous conte le destin de Zénon, fils bâtard d'un jeune prélat
italien et de la soeur d'un riche banquier flamand. Abandonné par son
père (qui meurt il est vrai un peu plus tard) et délaissé par sa mère
(qui ne le supporte pas), le jeune Zénon développe très tôt un esprit
indépendant et avide de liberté. Périlleuse revendication dans le monde
perclus de guerres religieuses qu'est celui de l'Europe du XVIème
siècle.
En
définitive, Zénon se fera médecin tout en tâtant, comme nombre de ses
confrères à l'époque, de ce que l'on appelle encore l'alchimie. De sa
Bruges natale jusqu'au Paris de Catherine de Médicis et à la Pologne
des Wasa, il cherche, cherche inlassablement une vérité qui n'est pas
de ce monde et dont ce sceptique avant la lettre se demande même si
elle peut avoir droit de cité en ce bas-monde.
Fin,
révolté et intelligent, Zénon se commet bien entendu dans la rédaction
de certains traités que l'Eglise aussi bien que les Luthériens
considèrent avec la plus grande méfiance. En d'autres termes, eût-il
vécu de nos jours, que Zénon aurait probablement été un grand défenseur
de la laïcité et de cette liberté d'expression qu'elle seule autorise.
Mais
dans cette Europe qui s'enferme pour longtemps dans la Contre-Réforme,
Zénon doit fuir et se cacher. Avec les ans, il revient dans sa ville
natale, sous le nom d'emprunt de Sébastien Théus (le jeu de mots sur
"Théus" est savoureux). Tout s'y passe d'abord assez bien et puis ...
Et puis, les hommes et leur ignorance supersticieuse étant ce qu'ils sont d'habitude, tout finit mal, vous l'aurez deviné.
Mais
- et cela, c'est le message du livre - pas un seul instant, Zénon ne
faiblit. Pour s'éviter d'ailleurs la faiblesse ultime de la chair
devant la torture et le bûcher, il s'évade par le suicide, un suicide
dans la grande tradition de ces Anciens qu'il admirait.
Un roman brillant, prix Fémina largement justifié en 1968.
Et aussi, en
ces temps où l'obscurantisme religieux redresse son profil d'hydre de
Lerne, un réquisitoire posé mais impitoyable contre ceux qui refusent
aux hommes la liberté de leur conscience. A lire absolument.