La Douce Empoisonneuse - Arto Paasilinna.
Tout
écrivain a sa façon bien à lui de raconter une histoire horrible.
Prenez James Ellroy par exemple. Avec lui, c'est du costaud, de
l'ignoble, voire du carrément intolérable. Rien n'est épargné au
lecteur mais le génie de l'homme est si grand que jamais il ne tombe
dans la facilité, encore moins dans la complaisance.
Avec "La Douce Empoisonneuse", Arto Paasilinna,
l'un des auteurs finlandais les plus connus, nous raconte aussi tout
plein de choses horribles telles les violences exercées par un trio de
jeunes délinquants à l'encontre de plus faibles qu'eux (en l'occurrence
la tante de l'un des membres dudit trio, le chat de cette dame et deux
ou trois autres personnes ...). Mais il le fait d'un ton si
raisonnable, si calme, en prenant si soigneusement du recul que le
lecteur, indigné puis aussi avide de vengeance que la malheureuse
héroïne, la colonelle Linnea Ravaska, n'ambitionne plus qu'une chose :
achever ce parcours du combattant pour voir le Mal enfin humilié et mis
à mort.
Arto Paasilinna a d'ailleurs des raffinements de sadique pour exécuter un à un les membres du trio infernal. Car
c'est bien lui, l'auteur, qui s'en charge puisque le poison préparé à
l'origine par la colonelle pour mettre fin à ses jours n'est dispensé
aux trois monstres que par le plus pur hasard. Dans les trois
meurtres, la veuve du colonel Ravaska ne fait figure que de catalyseur.
Un catalyseur d'une innocence et d'une vulnérabilité rares puisqu'elle
la première étonnée du tour pris par les événements.
Bref
- à peine un peu plus de 250 pages chez Folio - et jubilatoire,
volontiers pince-sans-rire mais jamais loufoque, ce petit roman se lit
vite et avec plaisir. L'humour qui le sous-tend a un parfum doux-amer
et j'y ai noté quelques trouvailles tout à fait sidérantes. Ainsi, le
neveu-délinquant de la colonelle, qui lui pique régulièrement le
montant de sa modeste pension, vote à droite et se veut partisan de la
peine de mort. Pour les peines de prison, son raisonnement est très
particulier :
Citation: |
(...) Il aurait été plus équitable, selon Kake, d'indexer la durée des peines pour crimes de sang sur le nombre d'années de vie qu'il restait au défunt.
Autrement dit, si l'on mettait fin aux jours d'un bébé qui aurait pu
vivre encore soixante-dix ans, une condamnation à dix ans de taule, si
ce n'est plus, paraissait raisonnable. Si on zigouillait un vieux birbe
par contre, une amende aurait dû suffire car le dommage n'était pas
bien grand. Kauko Nyyssönen développa son idée. L'assassinat d'un malade incurable au seuil de la mort devait être considéré comme un délit mineur, alors que trucider une personne en parfaite santé devait bien sûr valoir la prison. Hélas ! pour l'instant, le Code pénal ne considérait pas l'âge ou le délabrement de l'état de santé de la victime, si avancés soient-ils, comme une circonstance atténuante. Il y avait là en soi, et surtout dans le cas de Linnea Ravaska [sa tante], une regrettable anomalie, une injustice criante. De ce point de vue aussi, il se sentait laissé pour compte ... (...) |
Evidemment
- on l'apprend un peu plus tard - la mère de Kake, qui n'était autre
que la soeur du colonel Ravaska, souffrait de troubles de la
personnalité. N'empêche que, lorsque son fils finit par rencontrer sa
Némésis, le lecteur (comme la colonelle, sa tante, qui l'avait pourtant
élevé) se sent comme qui dirait l'âme plus légère.
Maintenant,
"La Douce Empoisonneuse" n'est sans doute pas le chef-d'oeuvre de son
auteur. Mais il donne en tous cas le désir d'en connaître un peu plus
sur la bibliographie d'Arto Paasilinna.